Qui parle encore aux ados ?

Teen Vogue ferme, MTV se retire, et avec eux, c’est une certaine idée de la jeunesse qui s’en va. Une jeunesse vue et légitimée grâce à des espaces faits pour elle : des magazines, des chaînes, des rubriques où l’on parlait d’amour, d’amitié, de musique et d’identité avec la conviction que ces sujets méritaient d’être explorés, même pour les plus jeunes. 

Aujourd’hui, les ados sont une audience parmi tant d’autres. Ils sont noyés par les mêmes contenus que les adultes. Ils consomment les mêmes vidéos, prennent part aux mêmes débats et suivent les mêmes influenceurs et mêmes esthétiques, sans que cela ne soit vraiment approprié. Leurs espaces ont disparu, et avec eux la possibilité de grandir à son rythme, d’avoir une culture à soi et des références communes qui n’appartiennent qu’à son âge.

Alors, on s’est posées la question : qui parle encore aux ados ?

Rihanna en cover de Teen Vogue (2007).

Les adolescents, grands oubliés des médias

Il y a quelque chose de tristement silencieux autour de la jeunesse aujourd’hui. Les ados n’ont jamais été aussi présents sur les réseaux, dans les débats, dans les stratégies de marque et pourtant, ils sont les grands oubliés des espaces médiatiques. La récente fermeture annoncée de Teen Vogue en est l’illustration parfaite. Ce magazine, longtemps considéré comme une référence auprès des adolescentes sur les sujets culture pop en tous genres, disparaît après plus de 20 ans de bons et loyaux services. Quelques semaines auparavant, MTV aussi annonçait la fermeture de ses chaînes musicales en Europe : MTV Music, MTV 80s, MTV 90s, Club MTV, MTV Live. Pour beaucoup de 90’s babies, c’est la fin d’une époque précieuse. Celle où l’on découvrait nos premiers clips, nos premières idoles, nos premiers crush, nos premières esthétiques.

Ces fermetures racontent une transformation culturelle plus large. Celle d’un monde médiatique adulte qui ne sait plus comment parler aux jeunes, ni même s’il doit encore le faire. Les médias qui leur étaient dédiés se sont peu à peu effacés, remplacés par des plateformes globales où tout se mélange et où la temporalité adolescente n’existe plus.

Les jeunes grandissent dans un monde saturé d’images et de discours, malheureusement sans filtre générationnel. Ils apprennent la vie sur les mêmes feed et for you page (fyp) que leurs aînés car sur les réseaux, la frontière entre les âges s’est floutée. Nous partageons tous les mêmes tendances, rions des mêmes memes, commentons les mêmes dramas. C’est à la fois fascinant et vertigineux car jamais les générations n’ont été aussi connectées, et pourtant, jamais l’adolescence n’a semblé aussi seule.

Skyblog, MTV, MSN : archives d’une adolescence collective

Il y a 10 ou 15 ans, être ado c’était appartenir à un monde parallèle. On achetait des magazines écrits pour nous, on regardait des émissions qui parlaient notre langage, on traînait sur des blogs où l’on pouvait exister en version “brouillon”. Ces espaces étaient de vrais lieux d’expérimentation identitaires qui accueillaient nos maladresses, nos contradictions, nos phases cringe et surtout nos passions passagères.

Si les teen mags les plus résilients ont simplement réduit leur publication, la plupart ont fermé les uns après les autres : Seventeen, Jeune & Jolie, Fan 2, puis plus récemment Teen Vogue, qui avait déjà mis fin à ses publications papiers il y a quelques années. Les chaînes qui mettaient la musique et les adolescent.e.s au centre (MTV, MCM, Virgin 17) ont aussi changé de cap ou disparu.

De même, les terrains d’expressions numériques ont été remplacés par des plateformes plus vastes, plus performantes, mais aussi plus froides, à l’instar de MSN au début des années 2010 et plus récemment de Skyblog en 2023. 

Ces médias étaient pourtant des lieux de transmission et de partage, où se construisaient une culture commune. Ils étaient des espaces certes imparfaits, parfois même trop normatifs et un peu naïfs, mais ils avaient une fonction précieuse : celle de nommer ce qu’on vivait, à un âge où nos existences n’étaient pas toujours prises au sérieux. Ils nous donnaient le droit d’être en transition entre deux âges et deux versions de soi. Sur Skyblog ou Tumblr, on pouvait être vulnérable sans gêne, tester de nouveaux styles ou encore fangirler sans modération.

Vide médiatique et négligence politique

Pour beaucoup d’entre nous, grandir a été synonyme de tâtonnement, de multiples essais, et de nombreux ratés. Ça a été l’occasion de se chercher dans le regard des autres, mais surtout dans le sien. Or aujourd’hui, ce regard est devenu collectif, permanent et donc intrusif.

Quand on retire à une génération ses espaces d’essai, elle apprend à se construire par elle-même. Les ados d’aujourd’hui grandissent dans une culture où tout est visible, analysé et commenté. Ils n’ont plus le droit d’être cringe ou maladroits. 

Cette situation à la fois culturelle et politique, traduit un désintérêt global pour la jeunesse en tant que sujet collectif. Ces dernières semaines, les événements à destination des jeunes ont systématiquement été perçus comme des menaces par les autorités : le concert gratuit de L2B à Châtelet annulé pour débordement, l’interdiction du port de certains costumes dans les rues à Halloween, le créateur de contenu Willy à la Prod banni de Châtelet et de Tik Tok pour avoir simplement partagé des bons plans gratuits…

Ces épisodes à répétition disent tous la même chose : la jeunesse n’a plus d’espace où exister librement, ni même où s’amuser sans soupçon. À défaut d’être accompagnée, elle est encadrée, régulée et ce basculement révèle une société qui se méfie de ceux qui représentent pourtant son avenir. 

Les médias, eux aussi, ont déserté leur rôle de transmission. L’adolescence collective s’effrite et avec elle, ce sentiment si précieux d’appartenir à une génération reconnaissable. Résultat : les jeunes s’éduquent entre eux et comme ils le peuvent, dans un écosystème où tout va trop vite pour qu’on y apprenne la nuance.

Repenser notre rapport à la jeunesse

Ne plus penser d’espaces pour les adolescents, ce n’est pas seulement une question de médias, c’est un manquement culturel et politique. 

La disparition des lieux de parole et de divertissement, notamment physiques, traduit une société qui n’a plus la patience de regarder et laisser grandir. On exige de nos ados qu’ils soient déjà autonomes et sûrs d’eux, là où ils devraient avoir le droit d’être en construction. Pourtant, c’est dans ces zones de recherches et d’exploration que naissent les cultures, que se forment les goûts et les imaginaires collectifs. Sans ces espaces, on assiste à un appauvrissement culturel où tout devient homogène et normé, dicté par le même algorithme.

Mais ce changement est aussi profondément politique. Il dit quelque chose d’une époque où la jeunesse est perçue comme un groupe à canaliser plutôt qu’une énergie à accueillir. Les interdictions d’événements, les contrôles policiers, les soupçons constants autour des rassemblements de jeunes en témoignent : on ne tolère plus leur joie, leur désordre et leur liberté. 

Cette absence s’accompagne aussi d’une forme de nostalgie collective. Celle d’une époque où grandir signifiait appartenir à une génération avec ses codes, ses musiques, ses stars et ses rêves. Recréer des espaces spécialement pensés pour les ados serait justement une manière de retisser ce lien, de leur permettre d’exister à leur rythme, et à nous, de nous souvenir que nous avons aussi été eux.

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